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Entretien avec Claire Huberson, cheffe de projet « accompagnement au changement »
Bonjour Claire. L’accompagnement au changement fait partie du cœur de métier de Chronos. Mais quels types de missions se cachent derrière ce thème ?
Nos démarches relèvent de deux types d’accompagnement au changement. Le premier concerne l’accompagnement stratégique de la transformation organisationnelle, que l’institution soit publique ou privée. Ces missions sont bien souvent au coeur de l’accompagnement de l’innovation sociale, comme par exemple l’organisation en bureau libre, ou encore le développement d’un Lab sur l’expérience client ou usager ou collaborateur.
Le second concerne l’accompagnement au changement de comportements, notamment au moyen de l’économie comportementale, les nudges ou encore la communication engageante.
Notre accompagnement s’opère souvent auprès des promoteurs du changement, c’est à dire ceux qui mettront en oeuvre les projets pour les cibles finales. Nous les aidons à faire un diagnostic et une analyse des besoins, à élaborer une stratégie de conduite du changement par des ateliers d’intelligence collective, à concevoir des actions au moyen d’atelier de design, ainsi qu’à tester et à développer. Nous veillons à organiser progressivement “notre disparition” en outillant les parties prenantes notamment en les formant tout au long de nos interventions ou de manière spécifique par des ateliers de pédagogie active, de formation-action ou du co-développement.
Au-delà de l’acceptabilité, de l’adoption, c’est bien l’appropriation du changement qui est notre objectif, et pour ce faire nous avons développé des méthodes et des outils innovants comme le théâtre.
Le théâtre, justement. A quoi peut-il servir dans ce cadre ?
La « mise en scène » présente de nombreux avantages pour les entreprises. Tout d’abord, le théâtre peut créer un sentiment d’appartenance à un collectif. Il valorise les collaborateurs sur des aspects qui sortent du cadre habituel. C’est aussi une manière de mobiliser les équipes dans un projet commun, de favoriser la communication interne. On peut aussi mobiliser cet outil pour travailler une stratégie de développement.
Ce qu’on appelle le « théâtre forum » utilise les mêmes ressorts pour résoudre des problématiques. Il consiste à reformuler un problème rencontré (par exemple « le turnover élevé dans notre entreprise ») en le tournant vers l’action (« comment faire pour garder nos salariés plus longtemps ? »). A partir de là, il s’agit de faire jouer des comédiens (professionnels ou non) une petite saynète problématique, de donner la parole au public et, en fonction des réactions, de proposer aux personnes de venir jouer sur scène l’alternative. Cela permet de faire progresser la situation. A minima, cela permet de décentrer le regard, et surtout d’ouvrir le champ des possibles. Parfois cela permet de mettre le doigt sur un problème qui n’avait pas été identifié.
De manière générale, le théâtre fait appel à la mimesis (reproduction de l’action) mais crée un décalage ludique qui font passer les messages de manière plus efficace, car les sujets perdent de leur gravité. Paradoxalement, c’est en créant des drames qu’on dédramatise !
Pour une entreprise, concrètement, comment as-tu mobilisé l’outil théâtral pour résoudre des problèmes ?
Chez Identicar, par exemple, nous avons mis en scène des saynètes avec les équipes. Nous avons d’abord recueilli les besoins et les aspects du quotidien de l’entreprise, à travers l’organisation d’ateliers d’écriture avec les collaborateurs. Ces personnes ont ensuite pris part à la mise en scène et à l’organisation des décors. Une fois cette étape passée, nous avons cherché plus largement des « comédiens », parmi les collaborateurs, pour jouer les saynètes produites. Dissocier les auteurs initiaux des saynètes des comédiens issus d’autres entités de l’entreprise, a permis à ces derniers de vivre et ainsi de s’approprier les problématiques du service en question.
Ensuite, les saynètes ont été jouées devant l’ensemble des personnels et dirigeants. Par exemple, l’un des dirigeants jouait le rôle d’un collaborateur du plateau de la relation client, ce qui a permis de casser la hiérarchie et les codes, et in fine de renforcer l’estime de chacun. Cette expérience est encore dans les mémoires 2-3 ans après, pour preuve que cela a créé un vécu commun.
Mais ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. On peut aussi utiliser, de manière plus ponctuelle, des éléments de théâtre, plus proches des jeux de rôle, sur des missions d’accompagnement du changement. L’idée est de faire jouer des saynètes, après un petit brief des participants, qui permet de travailler, c’est à dire s'entraîner ou observer des comportements, sur un problème donné le temps d’un atelier.
Quelles conditions doivent être remplies pour un tel projet ?
Cela demande une confiance forte dans la méthode et ceux en charge de la mettre en œuvre. Par exemple, il faut à tout prix éviter qu’il y ait une censure des contenus, car cela n’aurait plus d’intérêt en interne. Bien sûr, cela nécessite également un peu de temps et quelques moyens pour réaliser quelques répétitions.
Ce type de projets nécessite également une humilité de la part des managers, qui doivent être prêts à accepter la critique.
Enfin, cela demande de bien comprendre les problématiques de la structure : l’analyse des besoins, c’est une véritable enquête policière ! Tellement de formats sont possible et doivent être adaptés au contexte de la structure…
Qu’est-ce qui fait qu’on devrait davantage creuser cet outil ?
Pour les changements individuels, il s’agit d’un outil plus efficace que les sensibilisations classiques. Quand on reçoit une information écrite descendante, le pourcentage d’appropriation est faible. Mais quand on agit soi-même, l’appropriation est démultipliée. C’est ce que nous enseignent les études de psychologie sociale.
J’ajouterais que c’est une manière de prendre du plaisir au travail, tant pour les animateurs que pour les participants. Ce sont des méthodologies à façon, très créatives et stimulantes.
Est-ce que tu fais du théâtre toi-même ?
J’ai une formation de comédienne, mais je ne pratique plus maintenant. Actuellement, je fais davantage de coaching de la prise de parole en public. Cela dit, je pense que la formation théâtrale est un vrai plus pour bien animer ces séances, notamment celles qui vont au-delà de mise en situation et requièrent écriture et mise en scène.
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1Crédit photo vignette couverture : Kyle Head on Unsplash