Le cas du SUV : une occasion de faire rimer écologie et pouvoir d’achat
Voulant frapper fort, le WWF a souhaité compléter l’analyse de l’impact (énorme) des SUV sur les émissions de gaz à effet de serre - sujet déjà bien documenté ces dernières années - par un volet social, en s’intéressant à l’impact de long terme qu’aura la tendance à la SUVisation du marché auto sur le pouvoir d’achat des ménages, en particulier celui des plus modestes. Leur intuition était qu’une fois largement représentées sur le marché de l’occasion, ces voitures plus chères à l’achat, mais également plus consommatrices de carburant, allaient renchérir le coût de la mobilité et grever le budget des ménages.
Le WWF-France a confié l’étude portant sur ce volet social à Chronos, épaulé par AJBD pour les aspects marché auto. La démarche nous a séduit en ce qu’elle va dans le sens d’une déconstruction de la vision d’une écologie nécessairement en opposition avec le pouvoir d’achat, et qu’elle s’attache à éclairer un aspect moins documenté que la question climatique mais également fondamental et potentiellement plus évocateur pour certains publics et décideurs politiques. Acteur de la transition socio-écologique, Chronos (avec Auxilia) travaille depuis près de 20 ans sur les sujets de mobilité durable, rurale et inclusive, et cette étude était pour nous l’occasion de mettre à profit cette expérience pour éclairer le débat public.
Aborder le sujet dans sa complexité pour ne pas se contenter d’une étude « technique »
Notre parti pris pour l’étude a été celui de rendre compte le plus fidèlement possible des différents contextes de vulnérabilité économique vis-à-vis de la mobilité motorisée sur le territoire, pour analyser l’impact différencié de la SUV-isation en fonction des publics. Pour ce faire, nous avons construit une typologie de ménages fine, croisant niveau de revenus et contexte d’urbanité. Une démarche itérative a ainsi été menée, sollicitant plusieurs bases de données clés (ENTD - Enquête Nationale Transports et Déplacements, base IRCOM, Enquête Budget de famille…) afin d’analyser à la fois les comportements de mobilités (ex : nombre de kilomètres parcourus par an) et d’achats (ex : propension à acheter des SUV, taux d’achats de véhicules neufs…) en fonction du profil de ménage. Ce travail a été l’occasion de nous replonger dans l’ENTD, source inépuisable d’analyse sur les comportements de mobilité des français ! Un article à paraître très prochainement sur notre site reviendra d’ailleurs sur les enseignements de ces analyses au-delà de la question des SUV.
Des résultats qui invitent à une réflexion de fond
Que nous enseigne cette étude ?
- Que ces imposantes voitures sont paradoxalement avant tout plébiscitées par les citadins, en particulier dans les centres les plus favorisés (75, 92, 78). Illustrant ainsi la déconnexion entre l’usage de ces véhicules et leurs caractéristiques physiques : on n’achète pas des SUV pour franchir des obstacles en montagne mais pour aller faire ses courses dans Paris… ;
- Mais que depuis cinq ans environ, l’ensemble du territoire est progressivement happé par cette vague. Après une avant-garde ouest-parisienne, les acheteurs de SUV sont maintenant représentés partout en France ;
- Que si la tendance à la SUV-isation se poursuit, elle aura un impact significatif sur le budget des ménages modestes. Selon nos estimations, le surcoût pour les ménages modestes en 2035 d’un marché auto qui aurait poursuivi la tendance actuelle par rapport à un scénario de retour aux niveaux de ventes de 2010 est de 408 € par an. Dans le budget du ménage considéré, cette somme est substantielle, elle est comparable à 4 mois de dépenses en énergies pour le logement ;
Il est également intéressant de mettre cette somme de 408 € en regard de l’impact de la hausse du prix à la pompe sur l’année qui a précédé le mouvement dit « des Gilets Jaunes », que l’on estime à 116 €, dont 29 € imputable à la hausse de la taxe carbone. Ainsi, sur le long terme, la tendance du marché auto pourrait favoriser de nouvelles crispations sociales ;

- Que le niveau d’impact est très différent selon le profil du ménage :
- Les ménages les plus modestes sont les plus impactés (décile 1), qu’ils vivent en milieu urbain ou en milieu rural ;
- A niveau de revenu égal, l’impact est plus fort dans les territoires non-denses ;
Ainsi, un ménage du 1er décile vivant en milieu non-dense, sera deux fois plus impacté sur son budget qu’un ménage français moyen ;
- Que la politique la plus ambitieuse du point de vue environnemental serait aussi la plus favorable au pouvoir d’achat des ménages modestes. En effet, le seul scénario testé permettant à la France de respecter les engagements de l’Accord de Paris en matière d’émissions de gaz à effet de serre, et qui implique non seulement de stopper le boom du SUV mais également de mettre en place une politique de réduction de la dépendance des français à la voiture, fait ressortir un potentiel d’économie de 1 300 € par an pour un ménage modeste. On parle d’une année entière de dépenses en électricité et gaz d’un ménage pour son logement cette fois !
Ces résultats et leur mise en perspective concrète ont vocation à éclairer et enrichir le débat sur les enjeux environnementaux et sociaux de la mobilité motorisée, malheureusement sujet à de nombreuses crispations et caricatures. Notre démarche s’inscrit ainsi dans une recherche de production de connaissances et de prise de conscience, de la part des décideurs politiques comme du grand public, sur des conséquences indirectes d’une stratégie industrielle sur le niveau de vulnérabilité de certains ménages. Aux antipodes d’une quelconque recherche de culpabilisation de ces ménages.
Pour aller plus loin, retrouvez l’étude WWF-Chronos-AJBD.
* La campagne semble avoir porté ses fruits comme le montre cet article des Echos : https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/le-gouvernement-va-instaurer-un-nouveau-malus-automobile-lie-au-poids-1255765
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