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Études, veille et analyse
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Mieux comprendre les mobilités du quotidien

 

Entretien avec Ghislain Bourg, expert en psychologie sociale,
notamment sur les problématiques de mobilité.

 

Bonjour Ghislain. Dans quel cadre t’es-tu intéressé aux mobilités du quotidien ?

J’ai creusé le sujet dans le cadre d’une étude portée par la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme (FNH) et Wimoov, entreprise pionnière des questions d’insertion par la mobilité. Leur ambition conjointe était de mettre en parallèle les enjeux de mobilité durable et de mobilité pour tous, de manière appliquée aux trajets du quotidien. Le Baromètre des mobilités du quotidien       a été lancé en juin 2019 et terminé en février 2020, mais il est appelé à être renouvelé dans les prochaines années.


L’objectif était-il uniquement de mieux comprendre ces mobilités du quotidien ?

Non, car derrière cet objectif de compréhension, il y a l’ambition d’éclairer les décideurs sur les politiques de mobilités à mettre en œuvre ! Un autre objectif était de voir comment les collectivités s’étaient appropriées la Loi d’orientation des mobilités (LOM), de manière à proposer une approche critique de la LOM et de son application au niveau local.

 

Comment s’y prend-on, pour étudier un sujet aussi vaste que les mobilités du quotidien ?

Dans cette étude, Il y a deux dimensions : l’une quantitative, à travers une enquête réalisée par nos partenaires de l’Observatoire Société et Consommation, et des zooms territoriaux qualitatifs. Pour l’enquête, l’ObSoCo a interrogé 4 000 Français, sur la base d’un questionnaire construit suite à un temps d’échange avec des experts. A travers les zooms qualitatifs, nous avons comparé différents points de vue d’acteurs de terrain (élus, services, opérateurs, associations, employeurs, citoyens), sur 3 territoires plutôt ruraux : il s’agit des communautés de communes du Sud Avesnois, du Jovinien, et de la commune nouvelle des Hauts d’Anjou. Ces zooms permettent de confirmer ou de nuancer les résultats de l’enquête et de les illustrer avec des témoignages concrets. On a vu, par exemple, comment les parcours individuels pouvaient toucher les projets portés par les habitants. C’est le cas, notamment, d’un habitant qui venait de quitter la ville et s’installait à la campagne pour y proposer un système de livraison à vélo, à la fois pour des raisons environnementales et sociales.  


 Chronos barometr mobilite 1

 

Selon toi, quels sont les principaux enseignements de l’étude ?

Il y a beaucoup d’enseignements ! Mais s’il fallait en retenir quelques-uns, ce serait tout d’abord constater une forte prise de conscience des enjeux environnementaux (80% se déclarent préoccupés), et de l’impact de la mobilité dans ce sujet. De cette conscience ressort une aspiration forte à vouloir changer de mobilité (38% des automobilistes pensent modifier leur usage).

Cependant, le baromètre confirme les inégalités dénoncées depuis longtemps sur la mobilité : 55% des répondants déclarent ne pas avoir le choix de leur mode de transport, et ce pourcentage s’élève à 85% dans les communes isolées. Cette situation conduit certains publics défavorisés à renoncer à des déplacements pour sortir de chez eux ou chercher un emploi. Ces habitants font parfois face à des freins très forts, qu’ils soient économiques (la voiture coûte cher) ou psychosociaux (peur des transports en commun, voiture comme marqueur identitaire…).

Enfin, l’étude montre une forte méconnaissance des solutions existantes. Du collégien qui ne sait pas ce qu’est une piste cyclable au décideur qui ignorait que la solution qu’il souhaitait financer existait déjà sur le plan régional, les exemples sont nombreux. Malgré ce manque de sensibilisation et de coordination, on note une forte volonté d’avancer vers des politiques plus partenariales, dans une logique servicielle, et c’est très bon signe.


Certains enseignements t’ont-ils surpris ?

J’ai été surpris par le décalage qui apparaît entre l’acteur institutionnel et l’usager : certains reconnaissent ne pas être cohérents dans leurs pratiques avec ce qu’ils promeuvent sur le plan global. Plus généralement, l’enquête quantitative montre la dissonance cognitive entre l’évaluation de l’impact des mobilités sur l’environnement par les répondants, et leur propre contribution à cette détérioration. C’est la mobilité de "tout le monde" qui est incriminée, mais pas la leur. Cela montre un décalage significatif dans l’appréhension du sujet, même si nous pouvons nous interroger sur le poids de la mobilité des différentes populations. Entre la personne en situation de précarité contrainte d’utiliser un véhicule ancien et polluant et l’individu très aisé qui choisit une grosse voiture et prend l’avion souvent, l’impact environnemental n’est évidemment pas le même.


Suite au confinement, pourquoi ce baromètre est-il d’actualité ?

Le confinement a montré un champ des possibles en termes de mobilité, notamment sur le télétravail. Peut-être, par exemple, que tous ceux qui estimaient dans l’enquête n’avoir d’autre choix que la voiture pour aller au bureau ne prenaient-ils pas en compte la possibilité de faire davantage de télétravail ? De même, l’essor des mobilités actives est très visible. À Bogota, la ville a déployé en quelques semaines près de 100 km de pistes cyclables. Cet exemple montre que nous n’avons pas besoin d’infrastructures lourdes et que nous avons intérêt à déployer des politiques de manière plus agile et tactique. D’autant que le confinement a confirmé un fort besoin de nature, d’où la nécessité de verdir la ville pour rendre les cheminements piétons et vélo plus attractifs.

Chronos Wimoov barometre infographie Boom velo

Pour aller plus loin : http://barometremobilites-quotidien.org/

 

Pour tout renseignement :

gbourg

Ghislain Bourg

Docteur en psychologie sociale
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